Une robe en lamé or (Serge Cavagliani)

 

Une robe en lamé or

C’est lundi et j’ai congé. Avec mon pote Max, nous étions d’astreinte hier et aujourd’hui, grands photographes amateurs, nous décidons d’arpenter la ville, Nikon en bandoulière, avec le secret espoir de capturer LE cliché qui nous rendra aussi célèbres que Robert Doisneau !

L’après-midi touche à sa fin, la moisson d’images est pauvre en scoop et nous nous berçons d’illusions en espérant qu’une pépite pourrait apparaître au développement.

Mais là, la créativité est au point zéro et nous décidons d’aller boire une bière.

Un troquet digne d’un bougnat parisien de la rue de Lappe, « Chez Félicien » semble nous tendre les bras et sans hésiter nous nous y installons.

Toute la lie du quartier des Grottes est présente, poivrots magnifiques, clochards célestes et dames de petite vertu. Le garçon, beau gosse un peu maniéré, trop peut-être, détonne dans ce paysage, ou alors, est-ce simplement le contraste d’avec sa clientèle qui le rend si… différent !

Quelques bières plus tard et tournées de blanc offertes aux clients présents, nous nous enhardissons et nous fixons pour l’éternité quelque tronches, dont les propriétaires s’avèrent être fiers de poser pour nous.

Le garçon lui, n’en perd pas une miette, il nous encourage à grand renfort de tournées gratuites et il profite que Félicien, le patron, est déjà monté à l’étage rejoindre son mari, pour nous inviter au grand final de la soirée…

Il nous raconte sa vie d’avant, d’avant « Chez Félicien », quand il était danseuse dans un cabaret transformiste et, tout de go, il nous propose de nous travestir, il a quelques costumes, Max refuse, moi pas !

En quelques minutes je me retrouve fardé, maquillé par les mains expertes du loufiat qui tente de masquer ma moustache avec du fond de teint. Je n’ose me regarder dans la glace.

La robe en lamé or que je porte est trop longue et j’ai failli me prendre les pieds dedans en entrant en scène, elle me colle à la peau et son décolleté profond laisse entrevoir le duvet de ma poitrine. Le fermoir du grand collier kitch et clinquant qui pend à mon cou se prend dans mes poils et deux énormes boucles d’oreilles viennent couronner le tout.

Une tape sur les fesses en guise d’encouragement me donne le signal et je rentre en scène, ou plus précisément dans la salle du bistrot où je suis accueilli au son d’un accordéon sorti de nulle part, qui ne parvient pas à couvrir les applaudissements, et les sifflets admiratifs des spectateurs !

Max, un peu ivre et troublé, n’a pas eu le courage d’immortalisé mon striptease !

Serge Cavagliani

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