Monologue du canapé (Catherine Venturi Pinton)

 

Monologue du canapé

– Regarde maman ! Il est tout doux le canapé.

Ce sont toujours les gamins qui me caressent. Ils me prennent pour une peluche, ou quoi !

Oui, je suis en velours et je suis très doux. La mère ne s’arrête même pas. Elle cherche sûrement un sofa plus moderne, avec mécanisme pour sortir le petit reposoir pour les pieds. Je sais que je ne suis plus de la première fraîcheur. Maintenant, dans un magasin « seconde main », faut pas non plus espérer trouver le canapé dernier modèle de chez IKEA.

Par contre, aujourd’hui, il y a du monde. J’ai peut-être une chance de quitter ce hangar et de retrouver le confort d’une maison, la chaleur d’un feu de cheminée.

Si je n’avais pas ces trois horribles coussins sur moi, je suis sûr que j’attirerais davantage les regards. Velours doré et prix dérisoire, essayez-moi, au moins !

Tiens, Roger a sorti l’aspirateur. J’aime bien quand il s’occupe de moi. Souvent, il reste assis, affalé contre les coussins. Un peu de compagnie me réconforte.

Faut dire que je reviens de loin. Sans trop savoir comment, je me suis retrouvé sur le trottoir, largué par mes propriétaires. J’avais entendu dire que Madame n’aimait plus ma couleur.

Le matin, Roger est arrivé avec d’autres gars costauds et ils m’ont embarqué, direction le hangar.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais c’est long, sans attention, sans la sécurité d’une maison.

J’aimerais bien être acheté avec le fauteuil rouge. D’abord, on va très bien ensemble et puis, je n’aime pas être seul.

La dame au chapeau me fixe depuis un moment. C’est bon signe. Ce sont les femmes qui nous choisissent et qui nous jettent aussi, hélas !

Elle s’approche, regarde mon prix. Sa main me touche. Elle est douce. Elle s’assied. Quel plaisir, une plume. Mes ressorts en restent muets.

Le mari prend place à côté d’elle. Ils restent assis un bon moment et j’ai l’espoir de quitter cet endroit.

-Vous n’allez pas prendre ce vieux canapé démodé ! Venez voir, il y a une occasion formidable. En cuir et d’un confort !

Et voilà ! La fille, sans doute. Démodé, et alors ! Je rappelle certainement à tes parents une belle époque. Pourquoi décider à leur place !

Ils vont peut-être revenir. Le cuir est froid, ça se craquelle et on s’en lasse très vite. Tandis que le velours, c’est le tissu des rois !

L’heure avance et les acheteurs se font de plus en plus rares. Roger remet en ordre les objets déplacés. Il me caresse l’accoudoir, en passant.

Ce soir, je dormirai encore dans ce hangar. Peut-être que Roger finira par craquer et qu’il me prendra chez lui.

Faut bien garder espoir, quand la lumière s’éteint et que le silence nous absorbe, avec cette sensation de n’exister qu’à moitié.

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