1er prix: « Nouveau casting » (Virginie Rossier)

 

Nouveau casting

– Ah ouf, j’arrive à temps. Il n’est pas encore levé !

– T’as fait bonne route ?

– Oui, ça va. Mais il y avait des bouchons à Gibraltar. Comme chaque année au retour, tu sais ce que c’est. Et j’ai eu peur de manquer le début de la nouvelle saison. J’aurais encore rien compris après ! Ah ça y est, ça commence, lever de rideaux… Tiens ! Il a changé de canapé depuis l’automne passé ?

– Oui, et encore, tu n’as rien vu ! Je peux te garantir que question changements, tu ne vas pas être déçu ! Attends, regarde, elle arrive.

– Nom d’un gypaète ! Il a changé de femelle aussi ! Je pensais que les humains étaient monogames !

– Ils peuvent l’être… un temps. Mais ça faisait déjà trois étés qu’ils se prenaient le bec.

– Ah mais quand même, je l’aimais bien celle d’avant. J’ai pensé à elle tout l’hiver. Leur couple battait de l’aile, mais de là à ce qu’elle se soit envolée au printemps… Bon on va voir ce que celle-ci nous réserve comme spectacle. Mais je vais faire un tour dans les vignes avant, ça creuse la grande traversée !

– Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé depuis tout à l’heure ?

– Je ne sais pas trop te dire… C’est un drôle d’oiseau la nouvelle. Elle a passé toute la matinée devant la fenêtre, à regarder au loin. Par moment, elle prenait un objet étrange qu’elle mettait devant ses yeux… Elle ne devait plus rien voir mais elle restait quand même là, sans bouger.

– Comment ça, à rien faire ?

– Oui, elle a fait le pied de grue pendant des dizaines de minutes.

– Mais quelle perte de temps ! C’est une oisive, à tous les coups.

– Et tu ne sais pas ce qu’elle a commencé à faire après ?

– Non ?

– Regarde !

– Mais… elle est en train de démolir la vieille étagère du coin !? A peine arrivée, elle détruit tout ! Je sais bien qu’il ne l’utilisait plus vraiment mais il l’avait depuis des années. Ça ne se fait pas d’arriver chez quelqu’un et de tout changer. Normalement, c’est petit à petit que l’humain fait son nid. Pour qui elle se prend ?

– Le pauvre, il est tombé sur une dictatrice. A sa place, je lui aurais volé dans les plumes depuis un moment ! Ça fait déjà une demi-heure qu’elle scie ce meuble et qu’elle recloue ses planches.

– Mais qu’est-ce qu’elle fait… ?

– Je ne sais pas. Et m…, ils ferment les rideaux. La suite au prochain épisode. Elle n’est pas très sympathique, mais ça me plaît ce nouveau suspense. Comme d’hab’, on se retrouve à l’aube pour notre hymne matinal ?

Le lendemain.

– Allez, on s’y met directement, parce que sinon ils vont encore traîner au lit pendant des heures.

Des chants d’oiseux s’élèvent dans l’air du matin, tous dirigés vers la même fenêtre.

– Ça marche à tous les coups ! Voilà les rideaux qui s’ouvrent. Il va aller prendre sa douche et son café, comme tous les matins. Et elle, tu crois qu’elle va commencer sa journée par quoi ?

– Par continuer ce qu’elle faisait la veille, on dirait ! Elle reprend directement le marteau. Je ne sais pas ce qu’elle fait, mais ça l’obsède.

– Mouais, encore une égocentrique. Elle fait tout tourner autour de ses lubies… Bon, c’est pas tout ça, mais je n’ai pas encore déjeuné moi. Tu surveilles et tu me raconteras ce qui s’est passé pendant mon absence.

Quelques heures plus tard.

-Alors ?

– Elle a fini de bricoler son truc. Elle est sortie dans le jardin avec. Viens, je vais te montrer.

La femme est entrain d’enfoncer un long pieu dans l’herbe. Elle fixe dessus son œuvre. Une petite maisonnette, qu’elle rempli de graines. Elle retourne à l’intérieur et se reposte devant la fenêtre, avec ses jumelles devant les yeux.

– Bon, on a jugé un peu vite. C’est peut-être l’oiseau rare, celle-ci… Bon ap !

Virginie Rossier

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