Un accident domestique (Catherine Venturi Pinton)

-Jacqueline ? Où est la dame qui est arrivée en urgence ?

-C’est le troisième patient, docteur, derrière le rideau tiré. C’est pas joli, joli.

Le médecin s’approche du lit. Une forme sous les draps révèle la présence d’un être humain, sans doute, replié sur lui-même et tourné de côté.

-Madame ? Vous m’entendez ?

Un râle lui répond.

-Je suis le Docteur House, spécialiste ORL. Vous permettez que je regarde votre blessure ?

La femme se retourne tout en se redressant contre les oreillers.

Le visage est tuméfié. Les joues, surtout, présentent des hématomes.

-On vous a frappée ?

La femme remue la tête négativement.

-Le nez est certainement fracturé. Vous arrivez à ouvrir la bouche ? Oh la ! Vos gencives ont saigné abondamment. Les joues ont aussi plusieurs lésions internes. Vous arrivez, madame, à m’expliquer comment cela est arrivé ?

-Je peux raconter, Docteur, son mari l’a accompagnée et il m’a tout dit. C’est un accident domestique pas banal.

-Madame ? Vous ne pouvez pas parler ? Oh la ! Non ! La langue est enflée. Bon allez-y Jacqueline, je vous écoute.

-Et bien, Madame Monnet se préparait pour aller se coucher, comme tous les soirs.

-Venez-en aux faits, Jacqueline, j’ai encore plusieurs patients à voir.

-Oui Docteur. Alors je vous la fait courte. Tout est arrivé à cause de sa brosse à dents.

-Quoi ? Une brosse à dents ?

-Oui, mais électrique ! Je vous explique, Docteur. Madame Monnet est très maniaque avec ses dents et c’est avec minutie qu’elle passe sa brosse à dents électrique sur chaque dent, à l’intérieur, à l’extérieur. C’est en voulant brosser les molaires du fond que la brosse à dents s’est soudain emballée.

-Comment ça, s’est emballée ?

-Oui, la brosse à dents s’est mise à accélérer. Madame Monnet essayait d’appuyer sur les boutons pour l’arrêter, mais impossible. La rotation des poils de la brosse devenait de plus en plus rapide. Les poils se sont hérissés et ont provoqué des pincements aux joues. Vous voyez, comme des petites piques qui triturent les chairs en les enserrant. Madame Monnet paniquait, elle hurlait et son mari ne savait que faire. Soudain, les poils de la brosse s’en sont pris à la langue. Ils la malaxaient dans tous les sens allant même jusqu’à la retourner ! Madame Monnet hurlait. Son mari a compris que la brosse à dent agissait toute seule, Madame Monnet ne la tenait même plus. On ne voyait que le manche qui tournoyait et le sang qui giclait. Cette fois, les poils assaillaient les gencives en pinçant la chair qui saignait à chaque rotation. « Crache-la » lui disait-il. C’est en se penchant en avant que Madame Monnet s’est cogné le nez sur le bord du lavabo. Elle s’est mise à hurler de plus belle et la brosse à dents est tombée dans le lavabo. Madame Monnet, épuisée, s’est affalée sur le sol et son mari a appelé les secours.

-Une brosse à dent électrique, dites-vous ? C’est pas banal, en effet.

-Ne vous inquiétez pas Madame Monnet. Quelques anti-inflammatoires et vous retrouverez une jeunesse.

Bon, Jacqueline, faites transporter Madame Monnet au 6ème. Et pas de visite pendant trois jours, du repos, du repos.

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