Polaroïd (Laurette Oberson)

 

Elle est assise sur une petite chaise, son frère la domine de toute sa grandeur. La photo est écornée, jaunie, elle date de 1920. Grand-maman avait 2 ans.

Elle porte un enfant dans ses bras. Son pull fait un creux sur son sein qu’elle a lourd. Ses cheveux sont très foncés, elle rayonne. C’est maman lovée sur sa poitrine.

Là, c’est dans le jardin à Bellevaux. Elle parait si grande entre ma sœur et moi. Elle nous a tricoté des robes d’été, identique en tout point sauf en taille. Derrière nous se dessine le jardin, nos mains cueilleront les fraises et les framboises. En automne, le raisin qui recouvre le mur, un raisin qui ne ressemble à rien de ce qui se vend en magasin ou sur les marchés.

Sur le bateau mouche, elle me regarde avec tendresse. Le photographe était mignon. Des attentats avaient secoués la ville quelques semaines avant notre voyage. Elle m’avait parlé de son inquiétude.

Là elle pose devant la Tour Eiffel, avant l’incident, avant que je trouve pour la première fois un humain sans cœur. Ses intestins l’avaient trahie, la dame pipi voulait que Grand maman paie avant d’entrer dans une cabine. Je lui ai ordonné d’y aller et promis à la mégère que nous ne partirions pas sans payer.

Dans la véranda de l’appartement à la rue Centrale. Les rideaux sont fermés, une lueur rouge orangée baigne la pièce. Elle est assise à la table, deux aiguilles à tricoter dans les mains et son ouvrage sur les genoux. Ses traits sont tirés, amaigris.

Allongée sur une chaise longue, elle observe la vie autour d’elle. Toute la famille est réunie. La pelouse est parsemée de pâquerettes, ma sœur confectionne un bracelet en les enfilant les unes dans les autres. Je fête mes vingt ans.

Là, c’est devant une petite chapelle, habillée de blanc, mes yeux sont rougis, je viens d’embrasser son frère et il me rappelle à quel point elle me manque.

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