Par une nuit d’été (Alvise Pinton)

Par une nuit d’été

Par une nuit d’été, une de ces nuits où l’on regrette de devoir dormir, où l’on envie les animaux nocturnes de pouvoir profiter de ce calme et de la lumière blafarde de la lune, je me promenais dans la petite forêt proche du village. Sans doute réveillé puis guidé par une intuition surnaturelle, je me suis aventuré dans la petite clairière que je connais si bien pour y avoir passé de longues heures de délassement au milieu de la nature vivifiante. Là, éclairée par une lune presque pleine, je distingue une forme sombre, massive et mouvante. Pensant être le jouet d’une hallucination, je frotte mes yeux encore un peu ensommeillés. Une légère brume trouble cette apparition alors je fais un pas en avant. Mouvement que je regrette aussitôt puisqu’il provoque l’immobilité de ce qui ressemble à un animal broutant. En apnée, je m’immobilise à mon tour. Quelques secondes passent et la forme se remet à bouger. Je la distingue alors un peu mieux. C’est une sorte de grand cheval noir, trappu, aux flancs recouverts d’une épaisse couverture noire également. Tout en broutant, il se dirige vers moi. Un peu impressionné j’ai un léger mouvement de recul. Il lève brusquement la tête et regarde dans ma direction, me voit enfin et se fige. Ses grands yeux peureux me scrutent attendant ma réaction. Spontanément, je fais une révérence humble et respectueuse comme face à un monarque, la tête baissée et les mains ouvertes en avant pour montrer que je n’ai pas d’animosité envers lui. A son tour il se penche et me salue pliant une patte avant et écartant ce que je prenais pour une couverture : deux magnifiques ailes luisantes d’une envergure imposante. Je réalise alors que je me trouve devant un cheval ailé, un chevaigle tel le Pégase de Bellérophon. Cette incroyable rencontre ne peut s’arrêter là. Je tente une douce approche, avance ma main ouverte et fait un petit pas en avant. Le chevaigle dresse la tête puis la penche, renifle ma main. Je poursuis la rencontre et caresse doucement son front. Il se laisse faire tout en restant sur ses gardes, les oreilles frémissantes tendues vers l’avant, les deux ailes largement déployées, prêtes à entrer en mouvement. Il me faut une éternité p’our lui prouver que je ne lui veux aucun mal. Je le sens se détendre. Il accepte mes caresses et leur répond par un léger souffle. Soudain, un bruit de craquement le remet en garde, sans doute un autre animal de la forêt intrigué par notre présence. Le chevaigle se cabre magnifiquement et s’envole dans le ciel pâle. Persuadé d’avoir rêvé, je m’en retourne troublé au plus profond de mes certitudes scientifiques.

Bien des semaines passent avant de recevoir à nouveau l’intuition surnaturelle de sa présence. Je reprends alors le chemin de la clairière pour, cette fois, l’approcher plus sûrement jusqu’à monter sur son dos. Je saisis sa crinière épaisse. Une forte odeur de musc se dégage de son col et je sens sous moi ses flancs puissants parcourus de frissons. Quelques pas tandis que ses ailes d’un noir intense se mettent en mouvement et me frôlent sans jamais me toucher. L’envol est fulgurant, il nous emmène au-dessus de la forêt, puis au-dessus du village endormi. Le ciel et le vent nous accueillent. Toujours plus haut, perdant pour quelques instants la notion du temps et de l’espace , je goûte pleinement ce moment de beauté pure et parfaite, planant entre ciel et terre jusqu’à l’aurore.

Ces expéditions nocturnes ont continué pendant des années jusqu’au jour où je l’ai vu dans la clairière accompagné d’une jument de son espèce. Me signifiant que ce serait la dernière, le chevaigle et sa compagne m’ont alors emmené pour une ultime envolée inoubliable.

Alvise

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