Non, pas ce soir ! (Nicole Lachat-Trezzini)

Ça y est, il met sa main sur mon genou. Oh non pitié, pas ce soir ! Il se lève. Je me sens mal, je déteste ce moment.  » Je vais m’en chercher un « , me dit-il. Oh non. Il se dirige vers le réfrigérateur, l’ouvre, se penche en avant, étire sa main droite et en prend un, toujours le même arôme. Referme la porte avec son épaule, se tourne vers le tiroir à services, l’ouvre, se saisit d’une petite cuillère. Revient s’asseoir auprès de moi, ravi, me lance un sourire niais. Ma tête s’enfonce dans les épaules, je n’ai même pas besoin de regarder. Je connais le scénario par cœur. Il enlève la membrane en alu, la lèche, suçote, aspire jusqu’à épuisement de sa langue, jusqu’à rendre ce couvercle aussi brillant qu’un sou neuf, comme s’il était passé au « sigolin » de ma grand-mère qui aimait faire reluire ses cuivres. Bon… passons, à la séquence brassage du yogourt. Il veut absolument que je lui achète des yogourts fermes, fermes au mocca. Je ne comprends pas. Il remue 30 fois sa cuillère dans un sens et 35 fois dans l’autre sens. Ainsi son yogourt n’est plus ferme, il devient mixture lisse. Je ferme les yeux. Minuscule moment de répit. Il déguste. A peine 2 minutes de rémission, diminution de la quantité, puis avec sa cuillère, étape finale qui n’en finit jamais. Il racle, il racle, il râpe, il enlève toute trace de mocca dans son gobelet. Le bruit devient insupportable. Sa cuillère cogne, s’agite, rafle tous les restes même s’il ne reste rien. Son poignet se tord dans tous les sens. La tête penchée en avant, il en veut encore. Ce bruit qui ne veut rien dire. Mais alors qu’il avale le gobelet tout entier, qu’il s’étouffe, qu’il s’étrangle, qu’il suffoque, mais mon Dieu, qu’il me laisse tranquillement regarder les infos sur TF1 !

Nicole Lachat

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