Neige (Mireille Miéville)

Apparition ravissante

Toi, légère et délicate

Lumière hivernale

Cette année-là, la neige était arrivée en septembre déjà sur le village lové contre la falaise. Et c’est le jour que choisit une enfant pour pousser son premier cri, étouffé par la couche blanche. Elle fut nommée Neige, car son visage encadré de fins cheveux noirs était pâle comme le paysage alentour.

Dans la montagne, tout le monde connaissait Neige, petit bout de femme qui virevoltait comme un flocon délicat un jour de grand vent. On s’étonnait de la voir dehors au plus fort de l’hiver, sautillant et riant dans le froid alors que ses voisins restaient cloîtrés devant la douce chaleur de leur cheminée.

Neige était fille unique. Sa mère, connue pour sa vivacité et son habileté à travailler la laine, faisait des couvertures multicolores qui égayaient tout le village. Son père travaillait en forêt à couper du bois et le vendait dans la région. Dans sa jeunesse, il avait voyagé aux confins du monde, et le soir, il racontait ses aventures à Neige, qui le voyait ensuite dans ses rêves revêtu d’un turban coloré en plein désert, escaladant la plus haute montagne du monde à mains nues ou encore échappant à une horde de pirates sur un radeau.

Un jour cependant, le père ne rentra pas. La mère et la fille coururent la région à sa recherche. Elles écoutaient le vent, les rumeurs, mais personne ne l’avait vu et le vent restait muet. Pendant des mois, la mère et la fille se relayèrent pour guetter son retour derrière la fenêtre. Lentement, la mère perdit ses couleurs et la mort vint la saisir un matin sur son fauteuil, alors qu’elle terminait une énième couverture.

Blanche couverture

Tu dissimules ou révèles

Selon tes envies

Le sourire rayonnant de Neige s’éteignit. Petit à petit le village se vida de ses habitants attirés par la ville et ses promesses, mais elle restait à guetter derrière sa fenêtre. Sur les couvertures qu’avait laissées sa mère, elle brodait les aventures de son père, puis les bordait d’une délicate dentelle blanche. Les années passant, elle fut bientôt seule là-haut. Ses cheveux blanchissaient, son corps maigrissait. Assise sur son fauteuil à bascule, entourée de couvertures, elle avançait son ouvrage en rêvant que son père revenait la chercher.

Un soir, il lui sembla entendre du bruit près de la fenêtre. Elle se leva avec peine, s’approcha des carreaux et vit distinctement des traces de pas dans la neige fraîche. L’espoir lui fit oublier ses douleurs et son âge et elle sortit dans la nuit. De grandes chaussures s’étaient avancées jusqu’à la fenêtre, mais semblaient s’être ensuite volatilisées. Elle eut beau scruter la maison et ses alentours, elle n’aperçut âme qui vive. Elle regagna son antre et reprit son crochet, le cœur lourd.

Cet hiver-là, le froid fut mordant et les tempêtes se succédèrent dans la région. Une branche vint même briser quelques carreaux de sa fenêtre, faisant entrer la neige et le gel dans la maison.

Au mois de mai, lorsque le chemin fut praticable, d’anciens villageois vinrent prendre des nouvelles de Neige. Chez elle, ils trouvèrent son corps enseveli sous un duvet froid et blanc. Comme chaque printemps sur la montagne, la neige avait commencé à fondre, et une fine dentelle de glace transparente laissait déjà apparaître une main délicate.

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