Color y pasiõn (Libera Gallo)

20h30 : Nous voilà installés dans la grande salle du Teatro Viejo de Madrid.

Régis me parle, mais je ne l’écoute pas. Je ne l’entends plus. Je suis hypnotisée par la beauté du lieu. Sa créatrice, Maria Rosa de la Concepción, a voulu en faire la renaissance de la couleur se mélangeant à l’art rococo.

Dans l’antre de cette grande artiste, on est envahi et pénétré par l’éclat et les idées novatrices d’une architecture de l’Arte Cientifico, comme elle aime la nommer.

Ici, les sièges topaze flirtent avec les strapontins bistre clair en passant par des feutres azalée et puce. Toutes ces teintes valsent autour de nous. Elles semblent se marier de façon aléatoire, mais finissent par s’harmoniser comme dans un tango nuevo. C’est logique finalement. Du moins c’est ce que je crois percevoir du concept justement de Madame de la Concepción. La puissance de la moquette mandarine nous propulse dans une quatrième dimension où tout est possible. L’acidité du serin fait ressortir les passions secrètes et enfouies, le mastic utilisé par délicates touches invite à la rétrospection et le vermillon est plutôt osé. Régis n’est pas convaincu par cette effusion bariolée. Face à son air grimaçant, je suis dans l’incompréhension de son manque d’extase et le traite de triste monochrome coincé qui ne comprend rien à l’art. J’aimerais tellement qu’il se lâche. Le monde est si triste en ce moment. La planète a besoin de belles histoires colorées.

Si je pouvais, je peindrais mes journées de toutes les teintes de la palette.

J’inviterais mes collègues à utiliser un dress code pour chaque jour : les lundis seraient canari, les mardis se vêtiraient d’un pull pernod, le mercredi, jour de foot, tous en grenat et ainsi de suite en redécouvrant des couleurs oubliées comme pour les légumes. Maryse aurait meilleure mine et Vincent tirerait moins la tronche. Et moi ?

Moi, je mettrais du fraise sur mes joues, du framboise sur mes lèvres et du bronze sur mes paupières. Mais pas seulement ; je mettrais de de l’or dans mes pensées, du lilas dans mes prières, du citron dans mes passions et du magenta dans mes mains.

J’aimerais être cette femme arc-en-ciel que l’on croise, faisant décrocher un sourire aux personnes qui n’ont plus ni rêves, ni espoir, perdues dans leurs journées grège.

Et pendant que je suis la trajectoire de mes pensées sinople, mon compagnon s’impatiente et me lâche : « ça commence quand, ton truc ??? »

Derrière le rideau pistache, on entend les artistes se préparer.

Je suis excitée comme une enfant à la veille de Noël. Je ne tiens plus sur mon siège.

Enfin, les lumières s’éteignent.

Le rideau s’ouvre sur des danseurs tout de cendre vêtus.

Je vérifie le programme de ce soir : « Jose de la Muerte y su artes dramaticas ».

Et bien moi qui voulais de la couleur et de la vie… pour ce soir, c’est foutu !

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