Ma précieuse montre (Soafara Randriamiarisoa)

 

Ma précieuse montre

Je te partage ce souvenir, cette ambiance, cette émotion que toi seule as su me procurer. C’était au temps de ma jeunesse, une époque simple, entourée de jouet des plus ordinaires et sans valeur : une poupée en chiffon que j’aurais aimée en Barbie, des dînettes faites en boîtes de conserve façonnées par le ferblantier du village, un sac à trésor rempli de cailloux et des feuilles d’emballage de bonbons multicolores dont j’aurais aimé connaître la saveur.

Tout était dans l’imaginaire, la télévision nous faisait miroiter une autre réalité, une enfance blanchie, ouatée, entourée de beaux jouets. Tout ce que j’avais entre mes mains ne pouvait pas rivaliser. Mes jouets étaient fades, ternes et sales, brunis par la terre rouge. Sur l’écran, j’en voyais avec des couleurs étincelantes, rien à dire, ils étaient parfaits à mes yeux.

Un jour pourtant, ces deux mondes se sont rejoints. L’imaginaire est venu visiter mon monde poussiéreux.

Le jour de ma première communion. Un collègue de travail de mon père, un étranger, « Un vazaha » comme on dit en malgache, était présent. Un homme grand, un homme blanc sorti tout droit de l’écran TV était venu avec un cadeau. Une boîte rectangulaire, en carton bleu foncé avec des lettres argentées dessus. Aucun autre cadeau n’avait grâce à mes yeux ce jour-là. Imagine mon impatience pour enfin l’ouvrir après le découpage du gâteau !

En un instant, j’ai quitté mon trou brunâtre et sombre. Dès l’ouverture de cette boîte, j’étais propulsée en pleine lumière, de l’autre côté de l’écran.

Un objet d’une grande valeur, rien qu’en regardant comment le soleil le caressait. Mes mains tremblaient de joie en le prenant. Un bracelet en argent, un cadran rond de couleur bleue, qui est devenu ma couleur préférée, des petites pierres brillantes comme des diamants, incrustées autour.

J’ai rejoint un autre monde, là où les objets sont vrais, beaux, valeureux. Ma famille tout entière s’agglomérait autour de moi, autour de nous. Je t’exhibais tel un trophée devant les regards jaloux de mes cousins.

Tu venais de très loin, au-delà de l’océan. Un bout de ton monde m’apparaissait dès que je te mettais à mon poignet. Une magie s’opérait, tu me transportais loin de ma terre, loin des miens. Tu me transformais, je me sentais différente.

Un matin pourtant, je t’ai cherchée partout, mais en vain. Tu as disparu comme un rêve qui s’évanouissait au petit matin. J’en ai pleuré des larmes ce jour maudit. Aucune promesse, aucune tentative de consolation ne venait à bout de mon chagrin. En te perdant, j’ai en effet perdu un rêve, j’ai aussi perdu mon sésame pour l’autre monde.

Il a fallu du temps, des études et de l’acharnement pour atteindre l’autre monde par moi-même. Cette fois-ci, j’ai créé mon propre pont pour y aller. Ce monde tant désiré que tu m’avais fait entrevoir dans mon enfance. Je le retrouve en vrai.

Ma première intention a été de te chercher. J’en ai fait des magasins pour te trouver, mais en vain. Tant de choix, d’innombrables brillances, de lumières et de paillettes, mais aucune n’a trouvé grâce à mes yeux. Alors que toutes les montres de ce monde étaient à portée de main, aucune n’avait de valeur, même celles en or ou avec des pierres précieuses.

Tu m’as offert, un instant, un monde, un rêve… je t’ai cherché partout, mais rien n’en valait le détour. Merci ma précieuse montre d’un jour.

Soafara Randriamiarisoa

Ce contenu a été publié dans 2022-2023 Les Jeux du Je. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.