2ème prix du concours d’écriture 2019 (Véronique Arthaud)

Par l’intermédiaire des étoiles

Bonjour,

Tu ne me connais pas, ou si peu… Un tout petit peu de moi en toi, si peu… Un moment de jouissance, de celle dont les hommes ne savent que faire et qui s’interrogent encore s’il faut la contrôler ou la laisser exploser en millions d’étoiles de plaisir irradiant leur corps, les laissant au bord d’un abîme de néant… Les hommes hésitent, ne savent pas. Je ne sais toujours pas…

Et puis ta mère qui est venue vers moi, rayonnante, le ventre déjà proéminent, marchant en canard, faisant le pitre pour m’annoncer ta venue : enceinte de deux semaines. Je voulais un garçon, elle voulait une deuxième fille. Et ce fut toi. Ta mère te berçait dans son ventre, te parlait presque tout le temps quand elle se croyait seule. Je la voyais bouger les lèvres, une main sur son ventre encore plat. Elle avait chaud, elle avait froid. Elle voulait du lait avec des fraises du mois de novembre. Elle cherchait un prénom. Elle s’amusait de tout, voulait faire l’amour, encore et encore. Elle était heureuse, connaissant ce bonheur parfait et éphémère que seuls les grands naïfs possèdent.

Puis son ventre a commencé à s’arrondir. Il fallait faire quelques examens de routine. Tout allait bien. Tu était parfaite. Ta venue éclairait nos vies. Nous avancions vers le cinquième mois. Et ce fut le drame. Une aiguille dans le ventre de ta mère, une infection… Tu es née quatre mois trop tôt, entre les jambes de ta mère, seule dans sa chambre d’hôpital, hébétée et perdue. Il fallait que ce soit ainsi : un moment unique, appartenant à vous seules, la communion de deux âmes, l’une accrochée à la terre voulant que tu restes, l’autre déjà en partance, t’emmenant vers un autre monde. Une infirmière est entrée dans la chambre, t’a prise délicatement dans les bras et a emmené ton petit corps parfait et sans vie.

Je ne t’ai jamais rencontrée dans ce monde. Je suis arrivé quelques heures plus tard. J’ai trouvé ta mère assise dans son lit. Elle ne pleurait pas. Elle regardait le ciel, comme pour te guetter encore quelque part au milieu des étoiles. Je sentais qu’elle aurait aimé te rejoindre, ou du moins t’accompagner un bout de chemin sur un parcours qu’elle ne connaissait pas, qui faisait peur à presque tout être humain.. Tu semblais trop petite pour le faire toute seule, disait-elle. Et moi, j’étais là, privé du soleil de ta mère, de son sourire, de son rire, de sa fantaisie et de sa petite folie.

Il fallut des mois et des mois pour que ta mère se fasse à nouveau confiance, qu’elle reprenne le goût de vivre.

Et puis la vie a repris ses droits, avec des épreuves au début, et ensuite avec plus de douceur.

Ça fait longtemps que ta mère m’a quitté pour te rejoindre enfin. Je suis un vieil homme maintenant. Je n’attend pas mon tour. Il viendra quand ce sera le moment pour moi de te rencontrer. Mais avant, je dois te dire quand même bonjour, je dois te dire que tu es dans mes pensées de temps en temps, que tu m’as donné un bonheur immense à travers la joie de ta mère.

Je dois te dire que tu étais parfaite, incroyablement parfaite. Je dois te dire merci, petit bout de ta mère et de moi. Je t’aime et c’est ce que je te dirais quand mon temps sera venu.

Je t’aime.

Ton père

PS : Merci les étoiles.

Véronique Arthaud

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