Un crime ne reste jamais impuni (Catherine Venturi Pinton)

Quand on est quatre enfants à la maison, pas facile d’avoir ses secrets, ses cachettes. D’autant plus quand on partage sa chambre et que l’on est la plus petite.

Mais, j’ai développé des capacités à observer et rien ne m’échappe. Par exemple, l’autre jour, j’ai bien vu mon grand frère, Julien, sortir de sa chambre avec un chewing-gum dans la bouche. Je l’ai fixé dans les yeux, du haut de mes 10 ans, et je lui ai chuchoté :

– Tu as encore fumé dans ta chambre. Si tu veux mon silence c’est 50 centimes.

– Oulala, j’ai la frousse ! Tiens et surtout ne dis rien.

Son sourire pourrait faire croire qu’il n’a pas peur de moi, mais il n’en est rien. A chaque fois il me paie.

Sous ma pile de culottes, j’ai caché ma tirelire et j’y glisse mon sou. A ce moment-là, mon œil est attiré par la boîte d’allumettes sur le rayon de ma bibliothèque. Normalement, je la planque derrière mes bandes dessinées. Quelqu’un l’a déplacée. En l’ouvrant, je ne peux que constater que mon colle-aux-dents acheté il y a deux jours avait diminué de taille. Quelqu’un l’avait sucé et pas qu’une fois. Mes soupçons se portent sur Jeanne qui partage la chambre avec moi. Elle n’arrête pas de me demander des bonbons. Elle m’agace. Je suis sûre qu’elle fouille dans mes affaires quand je ne suis pas là et trouve mes cachettes.

Il est temps de lui tendre un piège. Je remplace le colle-aux-dents par un bonbon « chupi colore la langue ». Je prends soin de cacher la boîte derrière mes livres.

Le soir, à table, j’observe attentivement la langue de Jeanne quand elle demande une tranche de pain, mais pas de couleur rouge. Je fais le tour de la table en scrutant à tour de rôle les membres de ma famille. Rien. Les discussions vont bon train, mais pas de trace de colorant. J’ai de la patience et je sais que le piège ne peut que fonctionner.

Je laisse passer trois jours, puis n’y tenant plus, je sors ma boîte d’allumettes de sa cachette. A l’intérieur, le bonbon « chupi colore la langue » est toujours là, intact.

Jeanne entre à ce moment-là :

– Eh c’est quoi ce bonbon ? Tu me fais goûter ?

– Tu rigoles ou quoi ! Tu m’as déjà piqué mon colle-aux-dents !

– C’est pas vrai, c’est pas moi !

– Menteuse ! Il n’en restait qu’un petit bout.

– Tu m’accuses toujours. C’est pas juste. Si tu continues, je vais dire à maman que tu caches des sucreries !

– Et moi je vais lui dire que tu me les voles !

Furieuse, Jeanne se jette sur moi et nous tombons sur le lit. S’en suit des empoignades, des cris, des rires, des chatouilles, le pire des supplices.

Notre mère fait irruption dans la chambre :

– C’est quoi ce chahut ! Allez mettre la table toutes les deux, ça vous calmera !

Sans rien répondre, nous remettons de l’ordre dans nos cheveux.

– C’est toi qui me l’as pris mon colle-aux-dents.

– Arrête. De toute façon, j’aime pas les bonbons citron.

– Vous n’allez pas recommencer les filles !

En silence, nous mettons les assiettes sur la table. Je suis furieuse. Jeanne vient d’avouer son crime. Il était bien au citron mon colle-aux-dents. En plus c’est mon parfum préféré.

Le lendemain, Jeanne se plaint que quelqu’un a coupé les cheveux de sa poupée.

– Mais non, elle a toujours eu les cheveux comme ça, ta poupée.

– Arrête de tout le temps pleurnicher…

– Elle est très belle ta poupée…

Moi, je me tais. Je pourrais lui dire qu’un crime ne reste jamais impuni et que la vengeance finit toujours par arriver.

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