Odeur de maïs (Alvise Pinton)

 

Les volets disjoints retiennent mal les attaques du soleil de juillet. Les rais de lumière tracent des parois imaginaires dans ce grenier des vacances de mon enfance. L’odeur du maïs séché fait revivre mon grand-père, son sourire à mon approche, son geste lent et précis lorsqu’il égrenait les épis pour n’en laisser que la rafle sèche et inutile, vouée au feu sous la marmite. Le grain précieux tombait dans une bassine et lui me prenait la main pour brasser la masse légère et bruissante.

Dans l’ombre, le vaisselier aux vitres teintées, jadis grand maître de la cuisine, n’abrite plus que des assiettes ébréchées. La gelée de coings y avait une place de choix, là, sur le premier rayonnage à côté du sucrier. Machinalement, je frotte le bout de mes doigts comme alors, quand ils me servaient de cuillère chapardeuse.

Le plancher rugueux a gardé sa majesté immobile et rassurante. A tâtons, je retrouve ses nœuds saillants, ses creux d’usure.

Dans un coin, le fauteuil à bascule, à la fois trône et refuge de ma grand-mère. Le cliquetis des aiguilles à tricoter, le murmure de contines ancestrales, le ronronnement de Grisette, « Je fais des chaussettes pour cet hiver , il va faire froid tu sais ! ».

Posé contre le mur, blanchi par le temps, le joug pour les bœufs. Les chaînes et les collerettes sont maintenant bien rouillées. Je ferme les yeux. La rue du village est encore en terre battue, les poules ne s’enfuient que devant les rares pétarades des premières voitures. Presque aussi fier que moi, Grand-père me passe la corde et le bâton pointu qui servent à diriger l’attelage. Du haut de mes dix ans, je marche à côté des deux bêtes lentes qui soufflent à chaque pas. Mon rôle n’est pas essentiel, elles savent le chemin. Nous croisons Gilio, debout sur sa charrette, guidant d’une main sa Mucha. Le trottinement de la mule ralentit à peine pour un salut silencieux, mais respectueux. Arrivé sur le champ, je monte sur le char pour arranger les fascines de bois. Grand-père corrige mes erreurs puis nous entamons le retour triomphal, lui à pied, moi sur le char. Nous n’avons échangé que quelques mots, les yeux et les cœurs se comprennent bien mieux sans eux.

Ce contenu a été publié dans 2016-2017 Voyages, voyages. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.