Grève du voisinage (Nicole Lachat-Trezzini)

Je ne suis pas allée à la Fête des voisins. De ma fenêtre du 2ème étage, j’ai vu, j’ai entendu. Il y avait des grandes tables empruntées à la salle communale. Il y avait des petits fours, du trop-plein, des bouteilles de vin, du surplus et des excès, du chahut autours du grand buffet, des Smartphones et des enfants. Il y avait l’illusion du bonheur et un monde d’apparence. Dans un coin, un peu en retrait, il y avait deux voisines commères qui chuchotaient quelques confessions, et trois autres qui piétinaient sur le gazon des paroles en l’air. Quand la nuit est tombée, il y avait de la musique bruyante qui ne transportait rien. Au milieu de la nuit, il y avait de la désinvolture grossière chez le voisin d’en dessus et celui d’en dessous, ils se sont emportés, carrément déchaînés. Une bagarre et des cris ont éclaté. Lorsque que le colocataire de mon palier est intervenu pour tenter un apaisement, c’est là que tout s’est amplifié, que tout a foiré, c’est là que j’ai fermé fenêtres et stores. Je n’ai plus rien entendu, plus rien vu. Que je suis bien chez moi.

Je glorifie ma tristesse. Oui je l’aime, elle et son perpétuel lot de pensées assassines avec lesquelles je deviens l’otage bienheureux du non-être. J’aime porter son lourd manteau gris. Il trimbale des états d’âme ombrageux et les vertus d’un opiniâtre désespoir. Fidèle manteau, il récupère bourdons, papillons noirs et parfois même, selon les humiliations du temps, le cafard. Ainsi les bouffées d’oxygène, celles de l’espoir, ne peuvent m’atteindre, ni me traverser. Ce qui me sauve en le portant, c’est sa matière à réflexion, c’est le fond extrêmement sombre comme une absence de nécessité. Il me soutient, je suis protégée, je ne sens pas les brises d’extases qui pourraient me soulever et me permettre de m’envoler vers les étoiles.

Ma tristesse est mon amie contre les illusions de l’espérance, elle m’indique toujours le chemin de la déprime, belle comme une contrainte m’offrant la clé de la délivrance, ma libération. Avec ses bras puissants, l’ennui vient me seconder, je l’en félicite, il m’évite ainsi les distractions futiles, les conversations à bâtons rompus ou les plaisirs vides de sens et de contenu. Je me roule, je me vautre au plus près de l’ennui, et c’est là que ma tristesse gagne en sagesse. Les bénéfices en sont retentissants, comment ne pas apprécier ces sentiments de malaise profond, ces frissons de lassitude, ces intuitions d’exil irrémédiable.

Je vénère ma tristesse. Grâce à ses points de suspension, elle me permet l’écriture. L’envie d’effleurer la poésie, la tentation de jongler maladroitement avec les mots, de rendre parfois recevable l’irréductible ou l’absurde, et de développer l’unique, l’immense justification de la vie, c’est-à-dire le rire.

Je souris à ma tristesse, c’est un combat de chaque jour, elle m’amène à la mort et rien n’est plus beau que la mort pour défier la vie.

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