Et la petite flamme s’éteint (Laurette Oberson)

Panne générale du réseau fixe téléphonique, un ouvrier qui installait la fibre optique a accidentellement percé la gaine qui contenait les lignes.

Nous sommes dans un immeuble de 116 logements, habités par une population de personnes âgées, plus ou moins en forme. Leur appartement est équipé d’un système d’appel à l’aide qui est relié au téléphone.

La matinée s’égrène avec un défilé de locataires qui viennent signaler que leur appareil ne fonctionne plus et par les explications du personnel de la gérance.

 A midi, Charlotte, l’intendante, contribue à la bonne marche du repas à la salle à manger. Accueillante, elle passe de table en table, fait son possible pour satisfaire chaque souhait, installe confortablement ceux qui ont de la peine à se mobiliser, un petit mot gentil pour chacun. A l’arrivée de M. Châtelot, elle le laisse s’asseoir et prend place en face de lui. Il est blafard, ses traits sont tirés, ses yeux enfoncés dans les orbites, il est essoufflé. Discrètement, elle jette un coup d’œil à la bouteille d’oxygène posée à côté de lui. La flèche indique le numéro cinq ; d’habitude elle est sur un, un et demi. Elle lui fait part de son inquiétude. Il la rassure, dans dix minutes il se sentira beaucoup mieux, il baissera le volume d’air. Il se tourne vers sa voisine, lui dit qu’elle est belle comme un jour de printemps et éclate de rire.

Après le café, la salle à manger se vide, les heures passent, la journée s’étire.

 A seize heures trente, Charlotte décide de monter voir comment va M. Châtelot, c’est la première fois qu’elle le voyait si mal, le fait qu’il ne puisse pas utiliser son alarme ne la rassure pas. Un coup de sonnette, il l’invite à entrer. Il est assis sur un tabouret dans la cuisine, il a beaucoup de mal à respirer. Il explique, s’arrêtant souvent pour reprendre son souffle, qu’il a fait trois hypoglycémies durant la journée. Il n’a plus de Coca, ça ne va pas du tout. Elle propose de faire venir un médecin ou une ambulance. Il refuse, ras la casquette des hôpitaux, s’il y retourne il ne reviendra pas, c’est son septième crabe, il n’en peut plus, il n’a plus envie de se battre. Il veut juste du Coca pour augmenter son taux de sucre, après il ira mieux. Elle descend, puis remonte, il boit deux verres de limonade coup sur coup, soupire d’aise. Elle lui demande s’il a mal quelque part, il lui désigne le côté gauche de son torse. Elle décide d’appeler du secours, il accepte, se prenant la tête dans les mains. Elle compose le numéro du médecin. Le cabinet est fermé, le natel privé est sur répondeur. Elle laisse un message puis téléphone pour une ambulance.

A peine a-t-elle raccroché que le portable sonne. Monsieur Châtelot fait signe à Charlotte de répondre. C’est le médecin, elle expose la situation. Il l’avertit que quoi qu’il arrive, son patient ne veut pas être réanimé, elle doit impérativement en informer les ambulanciers qui vont arriver.

Elle suggère à Monsieur Châtelot d’aller s’étendre sur son lit, trop tard, coup de sonnette, trois hommes avec de grandes sacoches rouges pénètrent dans la pièce, qui devient minuscule. Ils parlent fort, posent une multitude de questions. Une main déboutonne la chemise, une autre pose les électrodes, bips bips stridents de la machine, vagues vertes sur l’écran de contrôle. Préparation d’une perfusion, pose d’un cathéter, seringues, compresses. Sifflement, quelqu’un marche sur le tuyau d’oxygène. Charlotte, acculée contre le frigo, profite du déplacement d’un ambulancier pour se positionner derrière Monsieur Châtelot. Elle pose ses mains sur les maigres épaules, chuchote à son oreille des paroles apaisantes, dépose un baiser sur sa tempe.

Monsieur Châtelot s’agite, il veut partir, il a besoin d’aller au toilette, il s’en fout, il va faire dans son pantalon. Il s’arc-boute, tombe de sa chaise et ne bouge plus.

-Il ne veut pas être réanimé.

-Vous avez un papier qui exprime cette volonté ?

-Non, c’est son médecin qui me l’a dit toute à l’heure. Vous pouvez le joindre à ce numéro.

Après confirmation, Monsieur Châtelot est soulevé par six bras puis déposé sur son lit. Ses yeux sont fermés, son visage est détendu, un léger sourire étire ses lèvres. Charlotte s’assied à côté de lui, prend sa main dans la sienne, une larme roule le long de sa joue. Elle fixe la machine qui n’émet plus qu’un bip continu, une ligne verte parcourt, désormais, l’écran de contrôle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce contenu a été publié dans 2011-2012: Nos années, Non classé, Productions. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.