Carnage (Laurette Oberson)

 Ouf ! J’ai eu chaud, un peu plus, elle m’arrachait l’antenne droite. Qu’elle tarée, un vrai danger public cette gamine ! Quelle manie que de vouloir m’attraper à chaque fois qu’elle me croise. La prochaine fois, je lui fonce dans une oreille. Elle est facilement repérable avec son bonnet rouge et sa jupette. Je lui ai vu sa culotte lorsqu’elle s’est baissée pour ramasser une noisette.

Oh pis alors, quelle mijaurée, quand elle discute avec le loup – et vas-y que je tortille mes cheveux entre les doigts, que je croise et décroise les pieds – Les bûcherons n’auraient pas été là, elle lui sautait dans les bras.

Bien installé sur le petit pot de beurre, je me suis laissé porter, ça économise la poudre de mes ailes. Elle a emprunté le chemin le plus long. En passant devant le moulin, elle s’est arrêtée pour cueillir des fleurs, je me suis envolé, agacé de tout ce que je ne pourrai pas butiner. La petite fille a continué sa route en chantonnant, je l’ai suivie de loin.

Arrivée devant la porte de la maison de sa Mère-grand elle a toqué. Je me suis posé sur le rebord de la fenêtre. En entendant la grosse voix de la Mère-grand qui invitait la gamine à entrer, je me suis dit que quelque chose clochait. J’ai jeté un coup d’oeil à l’intérieur. Dans le lit, ce n’était pas la Mère-grand mais cet horrible loup croisé plus haut. J’ai voulu avertir la fillette du danger qu’elle courait. Je me suis jeté contre son visage, elle m’a chassé avec sa main.

« Elle a tiré la bobinette, la chevillette cherra ». Elle est entrée. Sur la huche, elle a déposé la galette et le petit pot de beurre. A l’invite de sa soi-disant Mère-grand, elle s’est déshabillée et s’est glissée sous les draps avec ce monstre. Si j’en avais eu je me serrai arraché les cheveux. Qu’avait-elle dans les yeux pour ne pas voir que sous le bonnet de nuit et le drap relevé, se cachait cette horrible créature ?

Pendant que cette petite sotte s’étonnait de la grandeur des attributs du loup, je me questionnais sur l’absence de Mère-grand, en papillonnant dans la pièce de long en large, pressentant un grand malheur.

De grandes taches de sang souillaient la descente de lit ainsi qu’une partie du mur. Le dentier qui aurait dû se trouver dans la bouche de la vieille dame ou dans le verre posé sur la table de nuit était par terre entre deux pantoufles. Alors que je repérais trois morceaux de bois qui avaient dû être une canne, un hurlement s’éleva de sous les couvertures.

L’imprudente se débattait comme une diablesse entre les griffes du loup, elle lui arrachait des touffes de poils, lui tirait sur les moustaches, essayait de planter ses petits doigts dans les yeux de l’animal. Je regardais la scène du haut de mes trois centimètres et deux grammes, puis détournais les yeux pour ne pas voir l’ultime coup de crocs qui fit taire à tout jamais le petit chaperon rouge.

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