3ème prix, « Plumes à la volée », écrit par Jocelyne Wyss

Plumes! Mot léger comme une bulle mais lourd de sens, de diversités, de richesses. Cinq lettres parfois escortées d’un « s » en fonction des circonstances. Des lettres génitrices d’une infinité d’univers. Un amalgame harmonieux de sons, de graphiques, de particularités.

Le P donne le coup d’envoi à plus de dix-sept mille mondes. De la douceur de paradis, poésie, paix, à la brutalité de perversité, pesticide, persécution. Il érige l’éclectisme en maître, se veut père de tous les possibles.

Le L est plus modeste, il s’égrène en articles, définit le genre. Il s’écoule en vaguelettes murmurées, lumière, luciole, lune. Il apprécie la proximité du U.

Ce dernier se plaît en chef de file, usine, utopie, unité et se flatte d’être voyelle.

Le M ? Il s’exprime par de grands élans, maman, merveille, mer, par de catastrophiques atterrissages aussi, misère, mensonge, manipulation. Il aime jouer dans la cour de l’essentiel, manger, marcher, mûrir.

Le E, discret, effacé, indispensable obtient la palme. Avec ou sans chapeau, il s’invite partout. Ouvrir la marche, se glisser entre les autres, conclure en douceur, il assume. Si le S impose sa

présence , il lui cède sa place de petit dernier. Avec lui, il sent l’exaltation l’animer avec intensité. Au pluriel les plumes parent l’oiseau d’une multitude de paraîtres, l’enveloppent de chaleur, portent ses envols. Elles multiplient leurs charmes pour parader sur la roue d’un paon, sur les épaules d’une danseuse de cabaret. Les jours d’humeur chagrine elles volent dans les plumes de quiconque obstrue leur chemin. Les jours d’humeur paresseuse, elles s’infiltrent dans les lits douillets, s’endorment dans les plumes. Sans lui, la plume comble la main de l’écrivain, de l’écrivaine, se nourrit de leurs imaginaires. Elle guide le trait des graphistes de tous genres. En noir et blanc, en couleurs. Elle s’égare sur un couvre-chef quand la mode la sollicite, se détache d’un plumage pour suivre le vent. Nom commun il lui arrive de changer d’identité pour devenir nom propre, mademoiselle, madame, monsieur Plume. Elle a ses aversions ! Elle déteste le trigramme «eau » qui la transforme en plumeau. La poussière ne l’intéresse pas, lui crée des allergies. Quant au « t » qui en fait un plumet ? Une garniture saugrenue. Elle a le sens du ridicule ! Sa pire appréhension ? Devenir verbe ! Plumer, dans toutes ses acceptions l’horrifie. Cet infinitif fait offense à sa légendaire légèreté, la déplume de toute crédibilité. D’un trait de plume elle renvoie ce « r » à dame conjugaison. Et puis… la pluie ! Un cauchemar tout en « eau». Elle se permet de lui emprunter son début et sa terminaison, de déguiser ses barbules en amas disgracieux. Une ennemie absolue. Plumes, plume! Six petits caractères, voire cinq, au service de la langue française. Un accord beau à souhait. Un souffle de poésie charmant comme un sourire.

Jocelyne Wyss

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