Destins de loups (Alvise Pinton)

En ce temps là, les loups régnaient en maîtres absolus sur d’immenses contrées. Les forêts et les plaines abritaient des meutes nombreuses et prospères et le gibier était abondant. Même durant les périodes les plus rudes de l’hiver, chacun trouvait à se nourrir et à se protéger du froid. Si une querelle opposait une meute à une autre et qu’aucune entente n’était envisageable, les chefs s’affrontaient en un combat singulier et le perdant partait, suivi des siens, chercher plus loin un autre territoire vierge. Le peuple des loups vivait ainsi dans la paix et la sérénité.

Un jour, cependant, venant des terres lointaines où le soleil se lève, on vit surgir des loups affamés et pleins de rage. Accueillis avec fraternité et sollicitude, ils se rassasièrent et racontèrent l’arrivée en foule innombrable des animaux d’une race inconnue. Marchant sur deux pattes, vêtus de la peau des autres animaux. Des êtres sans peur ni respect abattant tout sur leur passage, faisant fuir l’ours lui-même. Ils entretiennent une étrange matière, lumineuse, brûlante qui effraie ceux qui tentent de s’approcher. Les loups racontèrent la lutte vaine pour conserver les territoires de chasse, les tentatives de rapprochement ne rencontrant que des attitudes belliqueuses, fourbes, impitoyables. Ils racontèrent enfin la fuite sans fin, droit devant, abandonnant en route ceux qui ne pouvaient suivre, louveteaux et louves portantes, anciens et blessés. Chacun pour soi, dévorant pour ne pas être dévoré. Leurs récits semèrent l’effroi et l’incompréhension chez tous ceux qui les entendaient. Les nouvelles arrivèrent rapidement jusqu’aux meutes les plus éloignées. Tous les chefs gagnèrent la montagne sacrée et se réunirent pour prendre des décisions lourdes de conséquences.

Les discussions étaient passionnées et les avis très partagés. Les uns voulaient s’organiser, combattre. Parmi ceux-là, un loup puissant et craint de tous s’imposa rapidement comme chef. Il pensait même reconquérir les terres perdues. D’autres pensaient qu’il était plus sage de fuir et de s’installer dans des contrées inhospitalières certes, mais non convoitées par l’envahisseur. Ils étaient les plus nombreux, peu enclins à la bataille.

Une troisième voie fut présentée par un loup plus jeune mais néanmoins respecté. Il suggérait de rencontrer ces êtres effrayants et d’essayer encore de nouer des relations avec eux pour vivre en paix. Il pensait qu’il y avait de la place pour tous, à condition de se respecter.

Peu à peu, les trois options se précisèrent et chacun choisit sa destinée, et celle de son clan.

Dès ce jour, ceux qui voulaient se battre se rassemblèrent et se portèrent rapidement au devant d’un ennemi qu’ils ne connaissaient pas. Le courage et la force ne servirent à rien. Ils furent massacrés sans pouvoir rendre coup pour coup. Ainsi périrent ceux qui cherchaient l’affrontement.

Le plus grand nombre gagnèrent les forêts froides et hostiles du nord. Ils s’installèrent du mieux qu’ils purent et s’adaptèrent à leur nouvelle vie. Ils observent depuis lors sans jamais oser se montrer. Leur vie est rude mais la descendance est forte et résistante.

Les derniers se portèrent dans l’immédiate proximité des étrangers et les observèrent sans se montrer. Intelligents et prudents, ils comprirent les avantages de la cohabitation et firent preuve de soumission. Des proies furent capturées puis apportées en gage de bonne volonté. Ils s’installèrent aux pieds de ceux qu’ils craignaient et gagnèrent leur confiance. Leurs descendants apprirent l’obéissance absolue. Domptés et asservis, ils oublièrent à jamais les grands espaces, le vent et la liberté.

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