Stan (Laurette Oberson)

Quel temps ! Heureusement que la neige ne tombe pas sous les ponts, et toi le pigeon, tu n’as pas envie de prendre ton envol ce matin ? Attends, tu vois ce carton ? Je vais te mettre dedans, tu seras bien, tu es mon nouveau copain, maintenant tu t’appelles Stanislas, Monsieur Stanislas. Mais moi, je t’appellerais Stan.

Je ne sais pas toi, mais moi, je suis gelé, il me faut un café, on va aller le prendre à la gare. De toute façon, avec ce manteau blanc, il n’y a que là que nous serons bien, nous y passerons la journée. Regardes-moi ça, on ne distingue bientôt plus la route du trottoir. Attention ! Chaussée glissante. Les trous dans mes basquettes ne font pas crampons. Nous allons marcher jusqu’à la place des Augustins et nous prendrons le 13, l’exercice nous réchauffera.

 Je me suis réveillée ce matin, en découvrant le jardin sous trente centimètres de neige. Hors de question de prendre ma voiture, j’irai travailler en tram, envie de profiter sereinement de cet enneigement éphémère. Je ne reconnais plus mon quartier, c’est féerique, tout est blanc, les bruits sont étouffés, les voitures circulent lentement. A chaque pas mes semelles dessinent une empreinte. Le sourire aux lèvres, je m’installe dans la rame. L’homme assis à côté de moi est essoufflé, il me raconte qu’il a marché depuis Saint-Julien jusqu’au Bachet, car les bus ne sont pas en service. Les passagers pestent contre la voirie qui ne fait pas son boulot, qui aurait pu anticiper. La météo annonçait ces chutes de neige depuis deux jours. J’écoute d’une oreille distraite les commentaires. Le nez collé à la vitre, je savoure le paysage hivernal qui défile. A la place des Augustins, un jeune homme s’est assis en face de moi.

 Bonjour Madame.

…?

Oui, c’est un pigeon, il ne faut pas le toucher, il est peureux, il s’appelle Stanislas, Monsieur Stanislas, mais vous pouvez l’appeler Stan. Nous avons partagé notre nuit sous le même pont. Vous n’auriez pas une pièce ou deux pour un café à la gare ?

Merci. Vous avez vu ? Stan vous remercie aussi lorsqu’il secoue la tête.

…?

Non, j’ai une couverture très chaude et vous savez, ma galère n’est que provisoire.

 Nous avons discuté jusqu’à Cornavin comme de vieilles connaissances. Il avait un regard pénétrant, malicieux, un sourire irrésistible. Avant qu’il descende du tram, je lui ai tendu un billet en lui disant « Vous achèterez un bout de pain pour Monsieur Stanislas « . Il a pris ma main dans la sienne, l’a serrée très fort en me regardant droit dans les yeux, qu’il avait bleus.

 Eh, salut, tu ne devineras jamais ce qui m’est arrivé dans le tram ce matin. Moi qui ne prends jamais les transports publics, j’ai été servie. Avec cette neige, Gilbert n’a pas voulu que je sorte la voiture, alors j’ai pris le 13 à la rue du Stand. Je me suis retrouvée coincée, comme une sardine dans ce foutu tram. J’étais debout à côté d’une nana et d’un mec, ils discutaient. Lui, il avait une allure de clodo, j’t’explique pas, en plus il puait. Il tenait dans ses bras un carton, qui contenait un pigeon. J’ai écouté leur conversation, à un moment donné, je ne sais pas pourquoi, j’ai dis au gars que les pigeons étaient vecteurs de nombreuses maladies, transmissibles à l’homme. Tu sais ce qu’il m’a répondu ce con ? Qu’il y’avait certainement autant de microbes sur son pigeon qu’au fond de ma petite culotte !

 

 

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