Résignation (Julianne Farré)

Ouvre la porte ! Entre. Avance, longe le couloir, c’est calme ici. Et lumineux avec les baies vitrées qui donnent sur le jardin. Ne te presse pas, suis les marques dessinées sur le sol. Tu ne dis rien ?

Ouvre la porte ! Des murs blancs recouverts de fresques murales, des sculptures, des tableaux, des salles où l’on joue aux cartes, au domino, au loto. Un réfectoire semblable à celui d’un pensionnat, un salon avec téléviseur au mur, une chapelle, des employés habillés de blanc qui se déplacent d’un coin à l’autre. Une infirmerie. Des résidents, beaucoup de résidents. Certains immobiles dans le couloir, le regard implorant, assis sur des chaises roulantes. De la musique douce. Tu ne dis rien ?

Ouvre la porte. Ton nom marqué en haut à gauche sur un support en bois. Entre, laisse ton déambulateur à l’entrée. Tu reconnais tes meubles ? Le vieux fauteuil en noyer dont le cuir craquelé porte les empreintes de ton corps. Le guéridon fabriqué avec un cep de vigne et un morceau de bois. Le vieux secrétaire, la pendule neuchâteloise. Ton lit ? pas le tien, un lit médical, recouvert du dessus de lit blanc de ton ancienne chambre. Des San Antonio, des maquettes de voiliers. Viens, prends mon bras, allons jusqu’à la fenêtre. Regarde ces arbres dans le jardin que l’automne a coloré de jaunes, oranges, pourpres. Ils ont revêtu leurs plus beaux atours pour te souhaiter la bienvenue. Te souviens-tu du temps où tu plantais, greffais, taillais, élaguais. Tu me disais que les arbres avaient une âme, qu’ils parlaient, qu’ils souffraient. Viens asseyons-nous. Toi, sur ton fauteuil et moi par terre, la tête contre tes genoux. Comme autrefois. Tu ne dis rien ?

Ouvre la porte de la résignation, de l’acceptation. Traverse le labyrinthe de tes peurs et souffrances, de l’impossible retour, du renoncement. Ne sois pas sourd à mes demandes, ne me rend pas coupable de lâcheté, je n’avais pas d’autre choix. Tu ne dis rien ?

Ouvre la porte de ton cœur et rassure ton fils ingrat par des paroles consolantes, encourageantes. Dis-lui ce qu’il aimerait entendre : « il y a longtemps que je cherche à vivre ici ».

 

 

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