Près de la Tour Eiffel (Nicole Lachat-Trezzini)

J’entends du bruit. On dirait qu’il y a beaucoup de gens autour de moi. On ne parle pas ma langue. Je ne comprends pas grand chose. Où suis-je ?

J’attends quoi, je ne me souviens de rien ? J’attends allongée sur un sol si dur. Je respire mal. J’entends mal, on dirait que j’ai de l’eau dans les oreilles. Et si j’ouvrais les yeux ? J’ouvre les yeux, c’est étrange je ne vois rien. Et si je remuais un pied ou une jambe ? J’essaie, rien ne semble bouger. Tiens il pleut, une goutte, deux, trois gouttes sur mon visage, je les compte. Je me souviens maintenant, je traversais la route, je voulais visiter la Tour Eiffel.

J’ai chaud, j’ai froid, je ne veux plus attendre, c’est trop long d’attendre. Je vois des champs de blé comme lorsque j’étais toute petite. Je vois maman qui pose un 33 tours sur mon pick-up dans ma chambre avant de m’endormir. Un air d’opéra s’engouffre dans mes entrailles. Je suis lourde et si légère en même temps. Les blés ondulent sous le vent chaud, j’aimais ce jaune ocre, ce jaune ambré porte-voix comme « l’Enlèvement au sérail » de Mozart. J’attends, j’attends, j’entends une ambulance.

 Je marchais le long du trottoir et soudain un grand de coup de frein, un immense bruit. Mon Dieu une jeune piétonne est propulsée ! Elle est arrivée devant mes pieds. Sa tête s’est fracassée contre le trottoir. Elle gît là, inerte devant mes yeux apeurés. Faut que je trouve mon portable. Mes mains tremblent. J’appelle la police, non l’ambulance, non les pompiers, je suis en France et je ne connais pas le bon numéro. Mon cœur bat trop vite. Mon esprit s’enlise, je m’agite. Mon café remonte dans ma gorge. D’autres personnes semblent me venir en aide, me bousculent énervées, elles baragouinent des choses incompréhensibles et appellent le bon numéro. Je ne fais rien. Reste figé. J’attends les yeux fixés sur elle qui ne bouge pas. Comme elle est jolie cette femme. De sa belle chevelure blonde sort un léger filet de sang. On dirait qu’elle dort. J’ai envie de l’appeler Alice. Alice aux pays des songes. Elle a perdu une chaussure, une chaussure turquoise. Comme elle a de petits pieds si élégants. La tache de sang s’agrandit. Elle forme maintenant un coussin de flamme autour de sa tête. Tiens elle ouvre les paupières. On dirait une étrangère. Il commence à pleuvoir, quelques gouttes glissent sur son visage. C’est le ciel qui pleure. Elle semble attendre sereinement. Interminable attente. Le bruit de l’ambulance me sort de ma torpeur. C’en est trop, je file. Je n’irai pas ce matin visiter la Tour Eiffel.

 Nicole, le 8 octobre 2007

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