Le mikado (Catherine Venturi Pinton)

Ce matin, la maîtresse a dit que dès qu’on aura fini notre travail, on pourra aller au coin jeux. Le travail: c’est de piquer une grappe de raisin qui ira dans l’album qui parle de l’automne. Moi je n’aime pas du tout cette activité, parce que quand tu as piqué trois grains, tu as compris comment c’est et je vois pas pourquoi on doit continuer à piquer tous ces grains si on a déjà tout compris. Mais la maîtresse, elle nous oblige à tout finir et ça, c’est pas juste.

Depuis ma place, je vois Alexandra qui a bientôt fini et ça me met la colère, parce qu’elle va sûrement prendre le jeu que je veux et ça va me faire pleurer. En regardant Bastien, il me donne une idée pour aller plus vite, il pique quelques trous et après il tire avec son poinçon et ça coupe le carton. La maîtresse a pas l’air contente de la méthode de Bastien, elle le gronde, mais quand elle voit qu’il est triste, elle le laisse faire. Alors je fais la même chose et enfin ma grappe est toute piquée.

-Caroline a fini, bravo! Tu n’as pas très bien découpé les derniers grains, mais pour cette fois c’est bon tu peux aller jouer.

-Merci, maîtresse.

-Moi aussi je peux y aller?

-Non, Thibaut tu as encore les marrons de hier à colorier.

Je suis déjà au coin jeux et je cherche le mikado. Sophie veut jouer avec moi, je suis d’accord parce qu’elle est gentille et elle triche pas comme Alexandra. Je prends les baguettes dans ma main et je les lâche par terre. Elles retombent en tas. Tu dois enlever les baguettes sans bouger les autres. Après tu comptes les points selon la couleur des baguettes. Mais comme on compte pas très bien, nous on voit qui a le plus de baguettes et c’est lui qui gagne.

Sophie commence le jeu.

-T’as bougé.

-Non, c’est pas vrai.

-Si, j’ai vu, ça a bougé.

-Non, c’est pas vrai, tu triches.

-C’est toi qui triches. Les baguettes ont bougé, c’est à moi maintenant.

-Tu vas voir si elle bouge tes baguettes.

Et Sophie prend toutes les baguettes dans ses mains et elle les lance à travers la classe. Comme la maîtresse écrit au tableau, elle ne voit pas les baguettes qui retombent un peu partout par terre.

Thibaut rigole et la maîtresse se retourne en le fixant avec des yeux énormes.

-Thibaut ? Que fais-tu? Tu déranges quand j’ai le dos tourné? Ce n’est pas bien, tu sais. En plus tu es en retard dans ton travail, alors silence!

Thibaut n’a pas le temps de répondre, la maîtresse est déjà en train d’écrire de nouveau au tableau. Je dis à Sophie d’aller ramasser toutes les baguettes, sinon elle sera tout dit à la maîtresse.

Elle me tire la langue et va s’asseoir à son pupitre. Moi, j’aime pas qu’on me tire la langue, alors je vais derrière elle et je lui tire sa tresse.

-Aïe! Maîtresse! Caroline elle me fait mal.

La maîtresse se retourne, la craie bleue dans la main, parce qu’elle a dessiné la pluie au tableau et moi je commence à pleurer, parce que la maîtresses elle me gronde et je trouve que c’est pas juste.

Les autres élèves se mettent à parler fort, je me bouche les oreilles, je ne veux plus rien entendre, j’aimerais que ce soit l’heure des mamans et je veux rentrer chez moi.

-Silence! Chacun a sa place. Caroline, va t’asseoir et calme-toi.

C’est à ce moment-là que la maîtresse glisse sur une baguette de mikado. Son pied se tord, sa bouche fait une drôle de grimace et elle se rattrape au pupitre de Thibaut qui la regarde en souriant.

-Tu as fini ton travail Thibaut? Non….mais tout ça t’amuse. Moi, pas du tout. Je peux savoir ce que fait cette baguette vers ton pupitre?

Thibaut quand tu lui poses une question, il met toujours du temps pour répondre ou des fois, il regarde tout droit devant lui et il dit rien. C’est ce qu’il fait et ça énerve beaucoup la maîtresse qui lui dit que quand on lui demande quelque chose il pourrait au moins répondre. Mais Thibaut il bouge pas et la maîtresse elle ramasse la baguette et elle se relève.

Marianne est devant elle, avec toutes les baguettes de mikado dans la main, elle les tend à la maîtresse comme un bouquet de fleurs.

-Tiens maîtresse, j’ai tout ramassé. Je peux avoir un bonbon?

-Non, Marianne…va ranger ce jeu et RETOUNEZ TOUS VOUS ASSEOIR !!!

Quand elle crie comme ça la maîtresse, on sait qu’il faut obéir et nous voici assis, les bras croisés sur le pupitre et on attend. Il n’y a plus de bruit. Gaëtan, ça le fait un peu rigoler, mais la maîtresse le fixe et son sourire disparaît.

-Voilà…maintenant on écoute le silence jusqu’à ce que la cloche de la récréation sonne.

Je me sens un peu fatiguée et c’est long de rester sans bouger. La maîtresse va s’asseoir sur la grande chaise, près du tableau, elle bouge plus, on dirait qu’elle est morte.

Thibaut éternue, ça nous fait sursauter. Alors la cloche sonne et la maîtresse dit qu’on peut aller mettre les chaussures pour aller dans le préau. En passant près du coin jeu, je regarde le mikado et je me dis que j’en demanderai un au Père Noël comme ça je pourrai jouer toute seule chez moi et ce sera bien mieux.

Catherine Venturi Pinton

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